Engagé dans une recherche picturale sur la mémoire de la Shoah, Charles Goldstein construit une oeuvre étonnamment contemporaine sur un thème qu’il ne cesse de triturer en profondeur. La structure abstraite de ses toiles tire jusqu’à nos sens une émotion brute extirpée du néant. Ses oeuvres sont en permanence exposées à la Galerie Menouar(1) à Paris. En 2009, l’Espace Saint-Jean(2) à Melun lui consacrera une grande rétrospective. Depuis qu’il se confronte au souvenir de sa famille exterminée pendant la Shoah, le peintre Charles Goldstein se penche au dessus du vide. À chaque trait de pinceau, à chaque touche de couleur, à chaque action sensible pour traduire son émotion tragique sur la toile blanche, son travail de perpétuation aff ronte des questions essentielles. Comment préserver la mémoire d’une génération que l’on n’a pas connue ? Comment perpétuer le souvenir de ce que l’on n’a pas vécu et qui n’a pas été transmis ? » Je travaille sur du néant, sur de la poussière, sur de la fumée. Je manie une matière que je ne comprends pas, que je ne connais pas. Car je n’en ai pas la mémoire. » Terrible constat qui accentue l’abîme. En faire un témoignage alors, a t-on envie de suggérer ? Non, le peintre ne peut témoigner de ce qu’il n’a pas vécu. Il sait seulement que 84 membres, sur les 100 que comptait sa famille, ont disparu pour toujours dans des circonstances qu’il ne connaîtra sans doute jamais, exécutés sur place ou dans un bois voisin du petit village de Wisznice en Pologne, ou bien déportés vers les camps de concentration pour n’en sortir que par les fumées âcres des crématoires. Il sait aussi qu’il a échappé à ce destin grâce à son père qui, dès 1939, perçoit dans les évènements la tragédie qui s’annonce… |
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Cette histoire familiale, Charles Goldstein n’a jamais pu en faire le deuil. Pour bien comprendre le désastre, l’absence, la perte, l’eff ondrement, le vide, il ajoute : » Je me suis beaucoup intéressé à la vie du shtetl dans ces années là, lu des livres, vu des images. Mais, même avec ces éléments là, il m’est impossible d’imaginer ma famille vivante au milieu de cet univers. » Ce lent cheminement pour la réappropriation d’une parenté aspirée hors du monde par la brutalité et l’horreur nazie, et dont il est issu, Charles Goldstein a voulu le rendre palpable : » Je sais d’où je pars, mais je ne sais pas où je vais… « . Depuis une quinzaine d’années, le fi l conducteur de sa recherche identitaire s’exprime par la diffi cile voie introspective de la représentation abstraite, » parce que la forme fi gurative ne permet pas d’aller au fond de l’enfer. » La force pictura1e de ses oeuvres – » La part d’ombre « , » Comment c’était là-bas « , » Tant de vies mêlées ont fait ces fumées noires… « , » Mémoire pétrifi ée « , » Les voix dans la nuit… « , » Archéologie de mémoire » – s’éprouve au premier contact. Surtout, elles placent le spectateur en présence d’une réalité invisible et poignante, au coeur d’un trou noir dont le mystère reste entier. » C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche » dit Charles Goldstein en citant Pierre Soulages pour conclure. Aujourd’hui, même si le peintre parvient à se sentir dans » son » histoire dès qu’il pénètre dans l’atelier où il travaille en général la nuit, sa conscience n’est pas encore apaisée. L’appel, le cri de ceux qui ont éprouvé l’horreur captent son attention et son art. Jean Elyan
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